Chien enragé de Kurosawa
Le P'tit Seize, le ciné-club de Saint-Rivoal a le plaisir de vous convier à la projection de :
"Chien enragé"
d'Akira Kurosawa
Film Japonais Noir et
Blanc 1949 - 120 minutes - VO
(Sorti le 17 octobre 1949 au Japon – sorti le 12 janvier 1961 en France)
Tourné en 1949, ce film comporte tout un aspect
documentaire sur le Japon d'après-guerre : les cartes de
rationnement, la pauvreté d'une grande partie de la population qui
tente de survivre comme elle peut,
l'occidentalisation forcenée et le retour à la vie active des «démobilisés».
Murakami le jeune policier et Yusa son voleur, sont les deux facettes
d'un même personnage, rentrés de la guerre sans reconnaissance ni
attaches et qui auraient choisi des voies opposées. Cette dualité
symbolique est particulièrement visible dans l'avant-dernière scène
du film, à la gare, où Murakami sait que Yusa doit se trouver mais
n'a pour le reconnaître qu'une maigre description : "un
homme d'environ 28 ans avec un costume blanc."
Un été
torride dans le Tokyo d'après-guerre : dans un tramway bondé, le
jeune policier Murakami s'aperçoit qu'on lui a volé son révolver,
ce qui est considéré comme un fait très grave. Terriblement
culpabilisé, il présente sa démission à son chef. Il se pose en
effet des questions d'éthique : son pistolet contenant 7 balles,
combien de meurtres aura-t-il sur la conscience s'il ne retrouve pas
l'arme avant qu'elle ait servi ? Son chef, loin d'accepter la
démission, demande au contraire au jeune policier d'effectuer
lui-même l'enquête sur ce vol, avec l'aide d'un policier beaucoup
plus âgé, le commissaire Sato.
Grâce aux fichiers de la police,
Murakami finit par retrouver une fille, « voleuse à la
tire », qui était auprès de lui dans le tram. Elle commence
par nier, mais comme il la suit toute une journée, elle finit par
lui donner une indication pour contacter les revendeurs d'armes dans
les bas-fonds.
Il poursuit alors seul son enquête, ce qui l'amène à
fréquenter les milieux les plus divers. Déguisé en ancien
combattant, il s'introduit peu à peu dans les couches les plus
marginales d'une population qui survit difficilement à la défaite.
Murakami et le commissaire Sato sont enfin sur la piste d'un suspect,
Honda, qu'ils coincent à l'occasion d'un match de base-ball. Mais il
s'avère que ce n'est pas lui le coupable et pendant ce temps, le
révolver tue deux fois et blesse un policier qui collaborait avec
Murakami. Celui-ci, sous le coup de la honte et du sentiment de
responsabilité personnelle, décide de retrouver le voleur coûte
que coûte. Il traque son amie, la danseuse Harumi, puis il finit par
surprendre le voleur, Yusa, dans une gare à l'aube.
Une poursuite s'ensuit dans la nature, et Murakami se bat sauvagement avec Yusa dans un champ de fleurs, au son d'un piano voisin. Il arrive enfin à passer les menottes au meurtrier et les deux hommes, exténués, s'écroulent dans l'herbe, dans une attitude parfaitement symétrique.
L'un des thèmes récurrent dans le cinéma asiatique, est la proximité entre le policier et le voleur : les deux hommes ont sensiblement le même âge ; ils se sont tous les deux fait voler leurs affaires à leur retour de la guerre et Murakami confesse un jour à Sato qu'il lui semble comprendre le geste du voleur : policier ou hors-la-loi, ce n'est qu'une question de milieu, de destin.
Murakami comprend que Yusa n'est comme lui qu'une
victime de la guerre et de la défaite. Yuza, n'avait pas au départ
l'intention de se servir de son arme. Il se trouve pris dans une
spirale de la violence.
"Chien perdu devient enragé", dit le commissaire Sato à propos du voleur.
On trouve aussi le thème de la confrontation de deux mondes : un jeune policier encore enthousiaste et un vieux commissaire désabusé sont conduits à travailler ensemble et, au delà peut-être, à devenir amis.
Que la thématique et le style soient si proches
du néo-réalisme italien, c’est une évidence. Lors de la scène
du vol même, où Murakami poursuit son agresseur, on pense sans
hésiter au Voleur de bicyclette. Pourtant, le film de De Sica
ne fut diffusé au Japon qu’après la sortie de Chien enragé.
Kurosawa explique cette coïncidence frappante avec lucidité :
«Des situations historiques et sociales similaires donnent naissance à des œuvres similaires"
Le Japon de 1949 occupé par les Américains a des airs de l’Italie de 1943, «libérée» du fascisme par de nouveaux oppresseurs. Dans une séquence exemplaire, étonnamment longue, Kurosawa filme des visages et des scènes de la vie quotidienne, en surimpression avec le visage ou les pieds de Murakami, déguisé en mendiant à la recherche de son voleur dans les bas-fonds de la ville.
Cette mise en scène d’un univers sombre et glauque, en
apparence inutile dans le déroulement du récit, participe à la
création d’une atmosphère réaliste (le film est clairement
tourné en décors extérieurs) et poétique qui rappelle
immédiatement l’œuvre de Renoir, et notamment Les Bas-fonds,
l’adaptation du roman de Gorki dont Kurosawa tirera justement une
autre version en 1957.
"Chien
enragé" est bien entendu surtout (bien que Kurosawa
s'en soit toujours défendu) un polar à la facture
extraordinairement moderne. En faisant introduire son film par une
voix-off agressive, Kurosawa plonge le spectateur dans une ambiance
angoissante et tendue que le cinéaste ménage par de nombreuses
pauses contemplatives, d’une longueur inhabituelle, telle la virée
dans les bas-fonds de Murakami, le match de base-ball où les
enquêteurs tentent de « coincer » un truand ou ce plan
splendide sur les danseuses du music-hall, effondrées les unes à
côté des autres après leur show, transpirant, étouffant, épuisées.
En cassant régulièrement le rythme, Kurosawa rend plus abruptes encore les accélérations soudaines de l’enquête, d’abord recherche inquiète et solitaire d’un jeune policier inexpérimenté, puis reprise en main par un vieux briscard de la police qui ne s’en laisse pas compter.
Conjuguant la chaleur et
l’humidité palpables des scènes, la musique aux soubresauts
violents, les contre-plongées en forme d’abîme, la mise en scène
toute en intensité dans les passages d’un plan à l’autre,
souvent par volets et en profondeur (dans le cadrage), Kurosawa
obtient avec Chien enragé un « film noir »
parfait de bout en bout.
Biographie d'Akira Kurosawa
Kurosawa naît le 23 mars 1910 dans le quartier d'Omori à Tokyo, benjamin d'une famille de sept enfants. Il descend d'une illustre famille de samourais. Son père, officier et professeur à l'école militaire de l'armée impériale, donne à ses enfants une éducation stricte. L'enfance de Kurosawa est marquée par plusieurs drames, la mort de sa sœur, le séisme de Kantō de 1923 puis le suicide de son frère qu'il idolâtrait.
Il apprend le kendo malgré son attirance pour la calligraphie et la peinture.
Après s'être inscrit dans une école de beaux-arts, en 1929 il adhère à la Ligue des artistes prolétariens. Il habite pendant quelques temps à Tokyo,
chez l’un de ses frères. Celui-ci étant commentateur de films muets, il le
suit dans les salles de cinéma. Là, il découvre un grand nombre de classiques et se passionne pour le cinéma.
Il débute comme second assistant-directeur, écrit son premier scénario en
1940 et sort son premier film, "La légende du judo" en 1943. Kurosawa est déja victime de la censure, son film est amputé d'une vingtaine de minutes.
En 1948, "L'ange ivre", avec son acteur favori, Toshiro Mifune est le premier
tournant de sa carriere.
C'est en 1950, avec "Rashomon", que Akira Kurosawa sera reconnu dans le monde
entier grâce à un Lion d'Or au Festival de Venise obtenu en 1951.
En 1971, après quelques échecs et après avoir connu la gloire, Akira Kurosawa tente de se suicider. Cette tentative échoue heureusement et quelques années plus tard, le film "Ran" redonne la gloire à l'auteur.
Il est mort le 6 septembre 1998.
Filmographie d'Akira Kurosawa :
- 1943 : La Légende du grand Judo « Sugata sanshiro »
- 1944 : Le plus beau « Ichiban utsukushiku »
- 1945 : Les hommes qui marchèrent sur la queue du tigre « Tora no o fumu otokotachi »
- 1946 : Ceux qui bâtissent l'avenir « Asu o tsukuru hitobito »
- 1946 : Je ne regrette pas ma jeunesse « Waga seishun ni kui nashi »
- 1947 : Un merveilleux dimanche « Subarashiki nichiyobi »
- 1948 : L'Ange ivre « Yoidore Tenshi »
- 1949 : Le Duel silencieux « Shizukanaru ketto »
1950 : Scandale « Shubun »
1950 : Rashomon (羅生門)
1951 : L'Idiot « Hakuchi »
1952 : Vivre, « Ikiru (生きる) » : un fonctionnaire apprend qu'il va mourir d'un cancer du foie ; il décide, pour donner un sens à sa vie, d'accomplir un acte bénéfique : appuyer la demande des habitants d'un quartier de réhabiliter un terrain vague, source de maladie pour les enfants.
1954 : Les Sept Samouraïs « Shichinin no samurai » (七人の侍) : sept guerriers sont recrutés pour défendre un village contre des pillards ; ce film inspirera le film "Les sept mercenaires" (The magnificent seven, John Sturges, 1960)
1955 : Chronique d'un être vivant (生きものの記録, Ikimono no kiroku)
1957 : Le Château de l'araignée « 蜘蛛巣城, Kumonosu jo » : adaptation de Macbeth de William Shakespeare
1957 : Les Bas-Fonds « どん底 , Donzoko » : d'après le livre de Maxime Gorki
1958 : La Forteresse cachée « 隠し砦の三悪人, Kakushi toride no san-akunin » : ce film inspira George Lucas pour l'écriture de La Guerre des étoiles (Star Wars, 1977)
1960 : Les salauds dorment en paix « 悪い奴ほどよく眠る, Warui yatsu hodo yoku nemuru »
1961 : Yojimbo (用心棒) (Le garde du corps): ce film inspirera le film "Pour une poignée de dollars" de Sergio Leone, (1964)
1962 : Sanjuro « 椿三十郎, Tsubaki Sanjûrô »
1963 : Entre le ciel et l'enfer « 天国と地獄, Tengoku to jigoku »
1965 : Barberousse « Akahige » (赤ひげ)
1970 : Dodes'kaden « Dodesukaden » (どですかでん) : la vie de marginaux autour d'une décharge ; le titre est l'onomatopée du bruit du tramway, un des personnages étant un jeune fou qui se prend pour un conducteur de tramway
1975 : Dersou Ouzala (デルス・ウザーラ, Derzu Uzala; L'aigle de la Taïga)
1980 : Kagemusha ( L'ombre du guerrier) ( 影武者, Kagemusha): en 1573, Shingen Takeda, le chef du clan Takeda, est tué lors d'une bataille ; un voleur qui lui ressemble est chargé de le remplacer afin de faire croire qu'il est encore en vie ; ce film obtint la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1980 et le César du meilleur film étranger en 1981.
1985 : Ran ( 乱 , Ran
1989 : Rêves « Konna yume wo mita » (夢, Yume)
1990 : Rhapsodie en août « Hachigatsu no rapusodi » (八月の狂詩曲)
1993 : Mâdadayo (まあだだよ) : les élèves d'un vieux professeur organisent chaque année un repas en son honneur ; celui-ci donne lieu à un rituel immuable : mimant les enfant qui jouent à cache-cache, les élèves demandent « maadakai » (« êtes-vous prêt », sous-entendu à nous quitter), et le professeur répond « mâdadayo » (« pas encore ») ; cette cérémonie traverse les années...
2000: Après la pluie (posthume)